Caban
Lorsqu'il est rentré dans le pub, il était trempé. Au dehors, la pluie battait autant que soufflait le vent, arrachant aux arbres une souplesse qu'ils ne se connaissaient pas, si tant est que les arbres pouvaient connaitre quelque chose de leur souplesse. Ses cheveux, sans doute originellement chatain de châtaigne mais intensivement brunis par l'eau qui les avait inondé, était ramené maladroitement en un catogan de fortune, ruiné par les éléments déchainés de l'extérieur, qui tombait négligemment, comme une poupée de chiffons, sur son épaule. Son visage ruisselait, et la lumière s'amusait à jouer de prismes et de scintillement sur ses sourcils, épais et inélégants, son bouc taillé tout en pointes sur des poils courts, ses longs cils, délicats, affreusement dissonants avec son nez massifs et ses gros yeux couleur de terre en friche. Son habillage était des plus simples — un caban bleu marine que l'eau céleste avait manifestement décidé de transformer en une sombre éponge aux boutons brochés d'ancres — puisqu'en soi, il n'était que quelqu'un parmis d'autre quelqu'uns. Un client d'un soir dans le pub d'une ville au bord d'une mer qui menait vers un océan. Classique. Presque pittoresque, en fait.
Tout était trop gros. Un bar sur le port de Brest, un lundi soir. Un mec aux allures de pirates, à qui il ne manquait qu'un anneau à l'oreille, avec un caban, des cheveux attachés, qui gesticulait dans une attitude qui exprimait l'habitude la plus évidente. Le voilà qui s'éponge les sourcils et le front, haletant, qui se frotte les yeux, émet un jappement, celui du chien qui se secoue après un bain, défait son manteau pour ne laisser voir au final qu'un pantalon et un pull aussi noirs que du charbon; qui se saisit du dossier d'une chaise, près du comptoir, y dépose le caban en l'étalant de façon à le sécher sans doute, s'asseoit, et commande une pinte, sortant à l'avance le petit billet gris, élément essentiel de son troc.
Tout était trop évident, trop ostentatoire, pour être anodin. Cet homme était trop normal, trop commun, trop déjà vu. Il est impossible d'être aussi banal que cela. La banalité n'existe pas; pas plus que l'originalité, en tout cas. Non, quelque chose clochait, chez cet homme. Je me devais donc d'aller lui parler. Qu'aurais-je pu faire d'autre?
Cet ainsi que je lui ai adressé les premiers mots. Impossible évidemment de m'en souvenir, qui se souvient des premiers mot qu'on prononce à un inconnu? Ceux ci sont d'une banalité déconcertante. On va mentionner peut être les ravages de la tempêtes de ce soir, on va conseiller une boisson plutôt qu'une autre, on va faire une remarque sur l'attitude ou l'accoutrement, provoquer ou pas, être sympathique ou pas. Le tout était de prononcer un mot, distinctement, clairement destiné à ce type trop banal pour l'être, pas assez original pour l'être également. C'est ainsi que nous avons engagé la discussion.
Je ne suis pas ici pour vous dire ce dont nous avons parlé. Ceci était notre conversation. Je lui ai appris des choses sur moi, moi sur lui. Je ne vais pas vous mâcher le travail. Si vous voulez en savoir plus à son propos, parlez lui. C'est comme ça qu'on apprend. Moi, j'ai du mesurer mes propos, choisir mes mots, me laisser réagir en toute liberté ou modérer mes ardeurs, me confier et recevoir, faire don de moi et réception de son être, pour le découvrir. Cela représente du travail, sans qu'on le sache tout à fait. Je ne vais pas travailler à votre place. Chacun sa croix.
La véritable histoire que je vous raconte, ce n'est pas qui il est. Mais comment je l'ai rencontré.