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Dalivision - Méditations et Oeuvres Paranoïaques Critiques
19 mai 2010

Palimpseste

    Etrange, car j'avais cru disparaître, moi aussi. Disparaître encore, mais peut-être pour toujours, cette fois-ci. Finalement, je suis toujours là, n'est-ce pas?

    C'aurait été profondément idiot de ne jamais revenir, je serai forcément revenu ici un jour. Comme le criminel sur le lieu de son crime, qui y revient toujours; oh, pas forcément lourd de remord, mais parfois, ne serait-ce que pour se rappeler le doux souvenir de son crime : le hurlement de la victime apeurée, ou bien son silence ethéré; la nudité primordiale de son être ou son grand costume de tissus bariolé acheté la peau du cul dans je ne sais quel magasin qui emploie des personnes d'un âge que je ne veux pas savoir dans un pays que je ne veux pas connaitre; le tremblement de ses membres, comme un frisson érotique, ou le frappant stoicisme de l'acceptation de la fin inéluctable; se débattre, peut-être; le pied qu'il a pu prendre en sentant ce petit souffle qui s'en va... Quand Freud parle de l'association de la pulsion de mort à celle d'érotisme, ce n'est pas tout à fait faux, au final. Tuer, c'est peut-être un moyen de prendre son pied, qui sait?

    Je n'ai jamais tué. Non, c'est faux. J'ai déjà commis des meurtres, des assassinats, des crimes. Tuer une idée, ce n'est pas tuer un homme, c'est parfois pire. Renoncer peut-être être une forme de suicide ultra-sophistiqué. Bravo.
    L'avortement d'une idée : en voilà, un belle chose. L'avortement, de toute façon, reste un meurtre, un assassinat, un crime. Pire : un carnage, un massacre, un piétinement des fiertés. Pas au sens humain du terme, j'entends. Des messieurs et des madames très savants se lancent déjà dans ce débat vide de sens sur si oui ou non tuer un ersatz d'être humain, un être humain potentiel, un être humain avant l'être humain, un amas de cellules formant une entité encore inconsciente, tout comme nous, revient à tuer l'amas de cellules formant l'entité encore inconsciente que nous sommes. Non, l'avortement, c'est un meurtre symbolique. Ce sont plusieurs meurtres symboliques : je tue cette chose : pour me tuer moi de l'avoir portée, pour te tuer toi de ce que tu m'as fait porter, pour tuer le souvenir de sa création, pour tuer la société qui m'empêche de le garder, pour tuer l'environnement, pour tuer, pour tuer, pour tuer... Vengeance, désespoir, idéicide. L'avortement est le meurtre en série des acteurs du drame qui se joue autour de nous. Autant crime que justice, je le dit, je n'entrerai pas dans ce foutu débat. Laissez moi me battre plutôt pour les autodafés, ils portent bien plus de connaissances, et ce n'est pas en valeur potentielle.

    L'avortement d'une idée, une forme de suicide? Un suicide en série réussi, même. J'assassine l'illusion que je m'étais faite, je tue la stupidité que j'ai pu avoir, je massacre rageusement les événement et l'environnement qui m'empêche de réaliser ce que ma stupidité et mon illusion m'ont laissé entre-prévoir, je me tue moi parce que je ne sais plus quoi faire... Une idée qu'on tue, qu'on range dans un placard, c'est une bouffée de 365 cigarettes prise en un coup, c'est un amas d'overdoses, c'est la métastase collective qu'on crée au sein de sa tête.

    Renoncer, c'est partir un peu, c'est mourir beaucoup. C'est jouer à Jésus avant l'heure, c'est se faire un remake de la nuit des morts vivants : on est plus qu'un corps en attente d'un objectif, en attente de quelque chose QUI VAILLE LA PEINE QU'ON EN MEURE!


    Mû par l'irrésistible envie d'écrire. Oh, vous savez, rien de bien extraordinaire, c'est déjà beau que j'aie pris la décision de ne pas complètement et purement effacer cette page une fois qu'elle sera terminée! C'est une réaction commune, chez moi : ce qui n'est pas assez bien ne vaut pas la peine que je le garde. Ce sont des grandes manières, n'est-ce pas? C'est un comportement de petit snobinard avachi sans état d'âme. Ce n'est pas tout à fait à faux, à ceci près que je n'ai ni les moyens financiers ni les moyens sociaux de conserver et assumer pleinement ce rôle d'intellectuel socio-gaucher. En un mot, on peut aussi résumer cela au fait que je suis un gros branleur.

    Donc, écrire, simplement. Ecrire en tant qu'acte quantitatif, pas forcément qualitatif. C'est bizarre, c'est tout ce que je déteste, en réalité. Pourquoi prôner l'art lorsqu'on ne s'attache pas à la qualité de son éxécution? C'est l'hopital qui se fout de la charité, je sais; c'est pire, même : c'est l'UNESCO qui joue à "pas de bras, pas de chocolat" avec des ethiopiens minés. Triste, non?

    Attention, cela ne veut pas dire forcément écrire n'importe quoi. On est pas dans le surréalisme primaire du genre auto-écriture, hein. De toute façon, il faut bien un acte de réflexion précis quand il s'agit d'écrire, car entre ce qu'il se passe dans ma tête et ce qu'il se passe sur la page internet que vous lisez, il y a déjà eu plusieurs barrières de douanes que les mots ont du franchir. Toutefois, rassurez-vous : on retrouve toujours des idées clandestines, ou que ce soit. C'est la magie de l'idée, de toujours arriver à bon port, même déguisée. On ne peut pas condamner une idée : allez foutre des menottes à des ronds de fumée, je voudrais vous y voir, moi! On ne brûle pas les idées, ça les aide à se transporter; on ne massacre pas une idée, ce serait comme lâcher une bombe A sur un spectre millénaire. L'idée, l'Essence. Le Parfum, tout simplement.

    Son parfum. On ne s'en défait pas au final, c'est comme tout. On pense pouvoir tourner la page, gommer la feuille, et repartir tranquillement dessus comme si de rien n'était. Mon coeur est un palimpseste : j'ai bien tenté d'effacer et de réécrire une histoire par dessus la tienne, mais l'encre est bien trop voyante, le parchemin en est trop fortement imprègné, tout est tellement si fort dans ce que tu as écris à l'encre sur mon corps... Le parchemin n'est pas en cuir : il est fait avec la peau de mon crâne, de ma poitrine, de mes mains. Et j'ai beau vouloir réécrire une histoire très vraie à l'encre bleu pâle sur cette feuille que le temps n'a même pas réussi à jaunir, à chaque grattement de la plume sur cette surface douée de mémoire, je tombe sur tes mots, sur les notres, à l'encre noire, foncée et profonde, sautillante, parfois de ton écriture légère, parfois de mes grosses lettres épaisses et lourdes. Dès que je tente d'écrire, comme maintenant, je me rend compte que la seule chose que je suis capable de faire à l'heure actuelle, c'est lire le premier texte, ce texte d'origine, le tiens; et comme pour défier le monde, pour mettre la haine à ce "motherfucking random-ruled world", pour vainement essayer d'écraser cette foutue théorie du hasard, je prends à contresens chacun des mots noirs que je vois, espérant pouvoir peut-être recouvrir l'encre.

   Mais je vais t'avouer quelque chose, qui va rester entre nous, alors, soit bien secrète, d'accord?
   Quand j'écris par dessus notre histoire, en fait, j'essaie souvent de ne pas appuyer trop fort sur la plume.
   J'aime bien nous relire. J'aurais voulu simplement que l'histoire soit plus longue.
   Mais chut, c'est un secret.

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